Dernière mise à jour le 24 juillet 2024
On a beaucoup parlé d’agribashing ces derniers mois. Par ce terme, certains agriculteurs et institutions agricoles dénoncent ce qu’ils perçoivent comme une campagne systématique de dénigrement initiée par des organisations environnementales et relayée par les médias. Nous avons interrogé Rémi Mer sur cette question. Il a travaillé durant de nombreuses années auprès des Chambres d’agriculture en matière de communication. Au sujet de l’agribashing, il invite la profession agricole à ne pas prendre pour argent comptant ce que ce terme désigne.
Des conflits récurrents entre agriculteurs et certains de leurs concitoyens ont alimenté des interrogations sur un agribashing que subirait l’agriculture française. On a atteint une intensité de violence inhabituelle en mars dernier avec l’agression d’un agriculteur dans l’Ain*.
Cet événement et son écho médiatique font partie de ce qu’on appelle à tort agribashing. L’agression d’un agriculteur dans l’exercice de son métier est un fait rarissime. Dans certains cas, il peut s’agir de querelles de voisinage. Cette actualité a pris une dimension démesurée dans les médias grâce à la puissance des réseaux sociaux mais elle n’est absolument pas représentative des relations entre les agriculteurs et la société.
Le terme agribashing agit comme un double leurre. D’une part, il masque l’image très positive de l’agriculture dans l’opinion française : les sondages montrent que les Français aiment leurs agriculteurs, et qu’ils en attendent beaucoup ; paradoxalement, les agriculteurs ont du mal à y croire ! D’autre part, le terme agribashing masque aussi les nouvelles stratégies des organisations environnementalistes ou abolitionnistes (s’agissant de l’élevage) les plus militantes pour mettre leurs interpellations et leurs positions à l’agenda politique.
Sur un certain nombre de phénomènes dits « environnementaux » (érosion de la biodiversité, impacts des pesticides,…), les associations écologiques (WWF, Greenpeace,…) cherchent à identifier des responsables éventuels. Compte tenu de la visibilité de leur activité et de leur emprise sur le territoire, les agriculteurs sont en première ligne et peuvent être la cible d’actions menées par ces organisations. Des actions à caractère général (pétitions contre certaines pratiques agricoles,..) ou des actions qui visent spécifiquement certains agriculteurs comme la diffusion d’une carte des élevages de grande taille par Greenpeace (qui s’est rétracté par la suite). Ces organisations prennent l’opinion publique à témoin par médias interposés ou en s’appuyant sur les réseaux sociaux ; elles somment les élus de tous niveaux à prendre position. In fine, elles arrivent à mettre leurs problématiques sur l’agenda médiatique et politique ; c’est leur objectif. Au passage, des agriculteurs se sentent interpellés dans leur façon d’exercer leur métier. En ce sens, le terme agribashing traduit le sentiment bien réel de dénigrement que vivent certains agriculteurs.
Récemment, Christiane Lambert, de la FNSEA, a encouragé ses pairs à bannir le terme agribashing ; d’autres responsables l’ont suivie dans cette voie comme Jacques Jaouen, ancien président de la Chambre régionale de Bretagne. La communication des professionnels doit se jouer ailleurs : comprendre et anticiper les attentes sociétales, et organiser le dialogue avec les ONG notamment, au plus près des acteurs locaux, à l’échelle des territoires. Et ne pas hésiter à faire appel à la loi quand la critique devient diffamatoire. Les meilleures réponses viennent parfois des agriculteurs eux-mêmes. Quand sur France 2, le présentateur Nagui a mis en cause les éleveurs, les organisations agricoles ont réagi, mais celui qui a, sans doute, le mieux porter la voix de la profession, c’est Etienne Fourmont, éleveur et youtubeur. Sa réponse sur twitter a été diffusée à grande échelle par les médias traditionnels.
Quand j’ai commencé ce travail, il y a quelques années le terme agribashing était totalement inconnu ; il est apparu récemment dans le débat public (voir graphique ci-dessous). Mais les jeunes que j’ai rencontrés sont sensibles aux critiques, surtout quand elles viennent de leur voisinage ou qu’elles sont portées par des médias. Ils ont le sentiment de faire ce qu’il faut en termes de bien-être animal ou d’environnement. En outre, certains de leurs « efforts » viennent réparer les erreurs de leurs parents. Ils ne voient pas toujours ce qu’ils peuvent faire de plus. Ils sont touchés par ces controverses mais cela n’entame pas leur passion pour leur métier. De toute façon, qu’ils soient jeunes ou non, ce n’est pas rendre service aux agriculteurs que d’utiliser le terme agribashing qui obscurcit plus qu’il n’éclaire la relation entre les agriculteurs et la société.
Contact : Didier Caraes